Classe STMG - Cours n°6 : Dissertation sur l'art et la technique
Passons à présent à un deuxième cas
pratique, pour terminer ce tour d’horizon des exercices sur lesquels vous serez
interrogés au troisième trimestre : la dissertation.
Partons directement d’un sujet, que
je vais traiter avec vous comme une véritable copie de Terminale, en la
commentant de temps en temps. Vous connaissez la méthode, vous connaissez
surtout l’esprit de cette méthode (un dialogue à plusieurs voix), donc allons-y :
Faut-il avoir peur de la technique ?
La catastrophe nucléaire de Fukushima, symbole des risques techniques |
Parmi les nombreuses différences
entre l’homme et l’animal, on peut sans doute estimer que notre capacité non
seulement à développer des outils, mais à les transmettre d’une génération à
une autre, à les perfectionner, au point de développer de véritables techniques
(techniques de chasse, de pêche, etc.) [Définition], est l’une des différences
essentielles, et que sans la technique, par conséquent, l’humanité n’aurait pas
progressé comme elle l’a fait. Dans ces conditions, pourquoi faudrait-il avoir
peur de la technique ? [Amorce]
Au lieu de nous inquiéter, la
technique ne devrait-elle pas nous rassurer ? Car c’est grâce à elle que
non seulement nous satisfaisons nos besoins – un toit pour nous abriter, des
outils pour chasser ou nous nourrir – mais aussi nos désirs : voler, par
exemple, grâce aux avions, ou nous rendre sous les océans, grâce à divers
techniques (bouteilles à oxygène, scaphandres, et maintenant robots). [Mise en
place d’un problème] Pour autant, la technique engendre aussi non seulement son
lot de catastrophe – lorsqu’une centrale nucléaire, par exemple, explose,
lorsqu’un avion s’écrase – mais encore, et plus profondément, une certaine
inquiétude : le réchauffement climatique, par exemple, a pour origine
notre perfectionnement industriel. La technique ne fait-elle pas courir un risque,
au fond, à l’humanité : celle de nous dépasser ? Si c’est grâce à la technique
que nous maîtrisons le monde, parvenons-nous vraiment à maîtriser notre
maîtrise du monde ? [Problématique] Mais dans ce cas, comment expliquer
que la technique soit à la fois entièrement à notre service, comme moyen (elle n’est
qu’un outil de l’humanité, un outil bénéfique), mais également une puissance
qui nous échappe, qui recherche sa propre fin, en dehors de l’humanité ?
Ne serait-il pas nécessaire, pour bien vivre notre maîtrise technique du monde,
d’échapper aussi bien à l'admiration qu’à la méfiance à l'égard de la technique, pour
apprendre à mieux la contrôler ?
Pour répondre à ces questions [annonce
du plan], nous nous demanderons dans un premier temps si la technique ne
devrait pas, tout d’abord, appeler notre confiance, voire notre gratitude
envers elle, car sans elle nous serions encore l'état sauvage, avant de nous demander au contraire, dans un deuxième temps, si
les conséquences techniques ne sont pas aussi néfastes, et exiger de nous une
inquiétude, voire une peur, avant de nous demander, pour finir, s’il n’est pas
nécessaire, pour bien vivre et utiliser nos ressources techniques, de prendre
un recul critique qui ne cède ni à l’admiration ni à la peur, du moins à la peur irrationnelle.
Il nous semble d’abord que la technique
ne peut pas être envisagée négativement ou du moins avec inquiétude, tout
simplement car la technique n’est pas pour les hommes qu’un luxe ou un ornement
secondaire : elle est d’abord ce qui permet à l’humanité d’être ou d’exister.
En ce sens, il ne faut pas avoir peur de la technique, mais au contraire :
s’en féliciter. [Amorce]
Mais il faut expliquer pourquoi la
technique est non seulement un atout, mais une chance : sans elle, l’humanité
serait restée dans ce que l’on pourrait appeler l’état sauvage ou naturel.
[Argument] En effet, la technique n’est pas quelque chose qui se surajoute à
notre vie, qui serait de l’ordre de superflu. On peut estimer que les premiers
hommes étaient plus démunis dans la nature que les animaux : c’est ce qui
ressort par exemple du fameux mythe de Prométhée, tel qu’on le trouve dans la
Grèce antique, par exemple dans le dialogue de Platon intitulé Protagoras. [Exemple] Tandis que chaque
animal recevait de la part des dieux un avantage – celui-ci des griffes, un
autre des cornes, celui-ci pouvait voler, cet autre courir très vite, etc. – l’homme
est le seul à n’avoir reçu aucun avantage, aucun atout. Situation qui
correspondrait, donc, à l’homme à l’état sauvage : l’homme de la
préhistoire. C’est pourquoi Prométhée – qui sera puni pour un tel vol – décide
de dérober aux dieux le feu pour le donner aux hommes. La morale de ce mythe
est donc claire : l’homme ne dispose de rien, à l’état naturel, sinon la
capacité de fabriquer outils et techniques, et d’inventer des choses. Ici, d’inventer
le feu.
Comme on le voit, la technique n’est
donc pas quelque chose que nous pourrions regarder de l’extérieur, pour la
juger : elle est d’abord nous, l’espèce humaine, ou plutôt elle est ce qui
nous a permis d’être. La technique n’est pas étrangère à l’homme, elle est le
prolongement de son intelligence, à travers ses mains, ses outils, etc. Il ne
semble donc que nous devrions pas en avoir peur [reprise du sujet]. Pourtant
[transition critique], même si la technique est bénéfique, n’a-t-elle pas
parfois des conséquences inquiétantes pour l’humanité elle-même ? On peut
penser, bien entendu, à certains dommages collatéraux, comme l’on dit : le
nucléaire, c’est aussi la catastrophe nucléaire possible, un avion, c’est
aussi un crash d’avion possible, etc. Mais plus profondément, encore, la
technique, en modifiant si bien notre environnement et notre personne même, ne
risque-t-elle pas de nous dominer ?
Il nous semble, en effet, que tous
les aspects positifs de la technique ont également pour contrepartie des aspects
négatifs, et qu’il nous est autant possible de nous réjouir de notre progrès
technique que de nous en alarmer. Bref, d’en avoir peur. [Amorce]
On peut apporter deux arguments en
faveur de cette thèse [annonce des arguments]. Premièrement, plus la technique
progresse, plus il semble que notre initiative diminue. Pour une raison très
simple : la technique est faite pour nous faciliter la vie. Elle est faite
pour faire des choses à notre place. Grâce au téléphone, nous n’avons plus
besoin de nous déplacer ; grâce à la voiture, plus besoin de marcher.
Grâce aux ordinateurs, moins besoin d’écrire. Et plus généralement, grâce aux
machines et aux robots, la part des tâches manuelles a diminué. Dans une usine,
des robots remplacent des hommes. Au fond, la technique, certes, nous rend la vie plus agréable, plus simple, plus rapide, etc., mais elle risque aussi de nous rendre
dépendant d’elle. Plus le progrès technique avance, moins l’homme s’utilise, s’active,
agit, marche, etc. Plus il risque de devenir paresseux. Par exemple [exemple],
lorsque nous nous habituons trop au GPS, nous risquons de perdre notre capacité
de notre repérer dans l’espace. Lorsque nous nous habituons trop aux écrans
(ordinateurs, portables, télévisions), nous risquons de perdre notre capacité à
écrire, voire même à réfléchir.
Le deuxième argument que nous
pourrions utiliser ici est le suivant : toute invention technique apporte
avec elle un risque. Au fond, nous n’arrivons jamais totalement à anticiper les
conséquences d’une technique. La technique a quelque d’imprévisible. [Exemple]
Lorsque l’énergie nucléaire est découverte au XXe siècle, et lorsque
nous comprenons comment bien l’utiliser, elle apparaît d’abord comme une
invention formidable : aspect bénéfique. Et pourtant, elle entraîne avec
elle une série de risques dévastateurs, comme celui d’une explosion (comme
celle de Tchernobyl en 1986) voire d’une éradication même de la vie sur terre. Aspect plus que néfaste !
On le voit, il y a donc un certain
nombre de raisons qui peuvent nous faire craindre le développement technique.
[Transition critique] Mais dans ce cas, comment expliquer que la technique
puisse nous apparaître à la fois comme un bienfait, voire comme un élément
essentiel de l’humanité (comme nous l’avons vu dans notre première partie), et
comme un risque voire une menace dont il faut s’inquiéter (comme nous venons de
le voir dans notre seconde partie) ? Comment expliquer que la technique
soit à la fois un bien et un mal, quelque chose qu’il faut encourager et
quelque chose dont il faut se protéger ? [Dans la transition critique de
la deuxième partie, vous reposez en fait le problème de votre introduction. C’est
l’ultime moment, le moment décisif, où le « drame » de votre copie
est à son maximum : deux parties, et pas une qui trouve une solution !
Il faut donc une troisième partie.]
Pour comprendre pourquoi il faut à
la fois se féliciter de la technique, mais aussi en avoir peur, il faut sans
doute se demander si nous n’allons pas trop vite en prenant la « technique »
en bloc, comme une chose que l’on pourrait soit totalement accepter, soit
totalement repousser. En somme, ne faudrait-il pas tenir devant les inventions
humaines une attitude modérée, ni d’admiration, ni de diabolisation ?
Cette position pourrait finalement
se résumer ainsi : la méfiance, même à petite dose, est nécessaire, face
au monde que la technique invente – ou que l’homme invente, grâce à la
technique. Il en est de même de la nature : la nature est une chose
extraordinaire, que l’on peut à la fois admirer et craindre. Se méfier de la
nature ne veut pas du tout dire rejeter la nature. Se protéger contre les
risques naturels, les tempêtes, les séismes, ne veut pas dire ne pas profiter
de la lumière naturelle, des plantes, des fruits de la nature. N’est-ce pas l’attitude
que nous pourrions avoir envers le monde, cette fois-ci non plus naturel, mais le monde technique ?
La peur, si on l’entend dans ce sens-là,
une peur qui ne serait pas irrationnelle, pas une peur panique, mais une peur
contrôlée, réfléchie, argumentée, a tout simplement pour synonyme : la
prévoyance. Il faut être prévoyant avec la technique, pour l’autoriser à faire
beaucoup de choses, sans l’autoriser à faire n’importe quoi. Par exemple, il
est probable que dans quelques décennies, le progrès technologique nous
permettra de manipuler électroniquement ou nano-électroniquement le corps
humain, d’en reprogrammer certains aspects, d’intervenir informatiquement dans
le cerveau, etc. Tout ce versant de la recherche scientifique s’appelle le
transhumanisme ou le posthumanisme : termes très significatifs, puisque
tous les deux indiquent le projet de dépasser l’homme, de le transcender ou le
surpasser. Voici une conséquence du progrès technique : l’homme a poussé
si loin la technique qu’il peut se modifier grâce à sa technique. Mais
davantage encore : l’homme a tellement progressé technologiquement que la
technologie va dépasser l’homme, se retourner pour ainsi dire contre lui !
Est-ce un bien ou un mal ? La technique ne nous le dira pas : c’est à nous,
si nous réussissons à nous méfier à temps, c’est-à-dire à être prévoyant, qui
déciderons si nous voulons être surpassé par notre technique. Ce n’est pas
parce qu’on a la capacité technique de réaliser quelque chose qu’il faut
nécessairement le faire : c’est à ce stade que notre méfiance doit se
placer. Une méfiance salutaire.
A la question de savoir s’il faut
avoir peur de la technique, nous pouvons finalement conclure que oui, mais à
condition de bien s’entendre sur le sens de cette peur, qu’il fallait
redéfinir. La peur est par définition une émotion, elle tourne facilement à la
panique, à la détresse. La peur dont nous parlons est au contraire rationnelle,
et pourrait tout simplement s’appeler la prévoyance. Comme nous l’avons vu, la
technique n’est ni tout à fait un bien, ni entièrement un mal. Elle est d’abord
un aspect essentiel de l’humanité, puisque sans elle nous serions restés à l’état
sauvage ou naturel. Mais elle est aussi un risque voire une menace, car nous n’arrivons
ni à bien contrôler ni à bien deviner les conséquences de notre progrès
technique. Le réchauffement climatique en est la preuve peut-être la plus
éclatante. C’est pourquoi la technique appelle et doit appeler, par prudence,
par prévoyance, une forme de méfiance mesurée et intelligente. Mais cette
méfiance ne veut pas dire rejet. Nous nous méfions des catastrophes naturelles,
sans détester la nature. De même, nous devons nous méfier des excès de la
technique, sans la détester non plus.
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