Classe STMG - Cours n°5 : Explication de texte sur l'art et la technique
Pour
ces deux dernières séances avant les vacances, passons à deux cas pratiques,
qui vous seront d’une grande utilité pour vos exercices en retour de classe –
maintenant que nous savons que ce troisième trimestre sera compté, et durement
compté (l’assiduité sera prise en compte) pour votre baccalauréat.
Deux
cas pratiques, donc, c’est-à-dire deux exercices de baccalauréat – du type de
ceux que je vous demanderai de réaliser lorsque nous nous retrouverons, en
chair, en os, en vêtement, en salle 600 ou 700 !
Aujourd’hui,
tout simplement : une explication de texte. On commence par lire le texte,
et je passe à un modèle de rédaction dont vous devrez vous inspirer.
Après avoir lu ce texte et son explication, vous trouverez ça beau ! |
« Il existe en
certains cas une beauté propre des objets techniques. Cette beauté apparaît
quand ces objets sont insérés dans le monde, soit géographique, soit humain :
l’impression esthétique est alors relative à l’insertion ; elle est comme
un geste. La voilure d’un navire n’est pas belle lorsqu’elle est en panne, mais
lorsque le vent la gonfle et incline la mâture tout entière, emportant le
navire sur la mer ; c’est la voilure dans le vent et sur la mer qui est
belle, comme la statue sur le promontoire. […] L’objet technique n’est pas beau
dans n’importe quelle circonstance et n’importe où ; il est beau quand il
rencontre un lieu singulier et remarquable du monde ; la ligne à haute
tension est belle quand elle enjambe une vallée, la voiture, quand elle vire,
le train, quand il part ou sort du tunnel. L’objet technique est beau quand il
a rencontré un fond qui lui convient, dont il peut être la figure propre, c’est-à-dire
quand il achève et exprime le monde. […] C’est pourquoi la découverte de la
beauté des objets techniques ne peut pas être laissée à la seule perception :
il faut que la fonction de l’objet soit comprise et pensée ; autrement
dit, il faut une éducation technique pour que la beauté des objets techniques
puisse apparaître comme insertion des schèmes techniques dans un univers, aux
points-clefs de cet univers. »
Gilbert
Simondon, Du Mode d’existence des objets
techniques, 1958.
Bien,
ne vous empêchez pas de réagir devant ce genre de texte. On sent qu’il est à la
fois facile et difficile, très simple par endroits, mais plus compliqué ou
disons plus technique ailleurs. Lorsque c’est comme cela, tâchez de ménager
votre confiance. Ne vous en voulez pas un instant de ne pas tout saisir. Faites
bien attention, pour le dire autrement, à l’état affectif dans lequel vous êtes
lors d’une épreuve aussi importante que celle du baccalauréat, par exemple (en
4h, comme il se peut que vous en aurez, au retour du confinement). Un élève a
très vite fait de se décourager ; ou d’estimer que c’est trop compliqué
pour lui. Soit parce que l’auteur nous paraît soudain bien vain avec ses
phrases bizarres, soit parce que notre intelligence nous paraît soudain bien
médiocre face à ces textes. Beaucoup d’élèves « balancent » une
explication de texte, parce qu’ils ne s’estiment pas à la hauteur. C’est une
grave erreur…
Je
crois qu’une bonne manière de commencer est de s’accrocher à quelque point
solide, à un passage assez clair, plutôt évident, qui vous redonne un peu de
courage avant de reprendre le texte.
Ce point clair, cela me semble être
tout bonnement la thèse centrale du texte : oui, les objets techniques,
même les plus utilitaires, ou fonctionnels, peuvent être beau. Mais comment l’auteur
dit-il cela, et pourquoi dit-il cela : ce sont les enjeux d’une bonne
explication de texte.
Question 1 – Dégagez la thèse centrale du texte et les
étapes de son argumentation
Dans ce texte, Gilbert Simondon propose
une réflexion sur le rapport entre les objets techniques et la beauté [thème].
Si ce rapport peut faire l’objet d’un débat, c’est parce qu’il nous semble d’habitude
[partir de l’idée courante] que les objets techniques ne sont pas
particulièrement beaux. Ils sont d’abord utilitaires ou fonctionnels : une
« ligne à haute tension » par exemple (pour reprendre un exemple de l’auteur),
ne nous frappe pas d’abord par sa beauté – surtout si par « beauté »
on entend le plaisir pris à la forme de quelque chose [très courte tentative de
définition]. Un objet utilitaire ne peut pas être, à première vue, ce que l’on
appelle une « œuvre d’art ». Des pylônes électriques, les
prenons-nous en photo, par exemple ? Il semble bien que non, et c’est
pourquoi la thèse défendue par l’auteur ici a quelque chose de paradoxal [elle
prend à contre-pied ce que l’on pense en général] : selon lui, en effet,
non seulement les objets techniques peuvent être beaux, mais il existe même une
manière ou une méthode pour s’initier à cette beauté : il faudrait
simplement apprendre à les connaître. En somme, plus nous serions informés sur
ces objets, plus nous les trouverions beaux. Thèse d’autant plus paradoxale qu’elle
vient par conséquent à remettre en cause la distinction ordinaire entre objets
techniques (utilitaires sans être beaux) et objets d’art (beaux sans être
utilitaires).
Pour établir sa thèse, Simondon
procède en deux temps [annonce du plan] : dans un premier temps [il faudra
évidemment citer les lignes], l’auteur propose un critère de la beauté
technique, à savoir l’insertion d’un objet dans un lieu, voire dans un monde,
qui lui correspondent, et illustre ce critère par de nombreux exemples, avant d’en
arriver, dans un second et dernier temps, à ce qui explique et favorise, selon
lui, que ce critère de beauté nous apparaisse, à savoir qu’un objet technique
demande d’être compris pour que nous puissions le trouver beau.
Question 2 –
a) Expliquez le passage : « Cette beauté apparaît quand ces objets sont
insérés dans le monde, soit géographique, soit humain : l’impression
esthétique est alors relative à l’insertion ; elle est comme un geste. »
Ce passage, qui se situe au tout début du texte (première
partie) [situation], signifie une chose importante, selon l’auteur : un
objet technique n’est pas beau n’importe où ni n’importe quand. C’est ce que l’on
peut comprendre par le terme d’ « insertion », qui semble
vouloir dire : l’emplacement, la place de l’objet [définition]. En effet,
un objet technique – reprenons l’exemple d’un pylône électrique – n’est pas
beau seul, il n’est pas beau « en soi », si l’on peut dire. Il ne
tient sa beauté, selon l’auteur, que de son rôle ou de sa place dans un
ensemble plus large. Il faut donc que ces objets soient « dans le monde ».
Par exemple [exemple], un pylône électrique trouve sa signification et sa
beauté lorsqu’on le remarque en pleine campagne, lorsqu’il nous surprend par sa
force, sa puissance à s’élever tout seul, au milieu des arbres, et à relayer
les câbles électriques plus loin. Certes, il y a de la laideur, un peu, dans un
pylône : mais lorsqu’on le voit faire sa tâche, lorsqu’on comprend sa
tâche, on peut le trouver beau.
b) Expliquez le passage : « C’est pourquoi la découverte de la
beauté des objets techniques ne peut pas être laissée à la seule perception :
il faut que la fonction de l’objet soit comprise et pensée. »
Dans
ce passage, qui se situe à la fin du texte (deuxième partie), l’auteur présente
le moyen à travers lequel un objet technique peut être estimé beau. En somme,
jusqu’à présent, il ne présentait que le critère : un objet technique est
beau « parce que »… (parce qu’il est inséré dans son monde). A
présent, il cherche à nous montrer comment nous pourrions faire pour mieux voir
justement, mieux saisir cette beauté et ce critère. Pour Simondon, non
seulement un objet technique n’est pas beau seul (nous l’avons vu plus haut),
mais il ne peut pas être vu comme beau par nous simplement en le regardant. La « perception »,
comme il l’écrit, ne suffit pas. Il faut autre chose, et cette autre chose c’est
ce que l’on peut appeler l’éducation ou l’information. En résumé, pour qu’un
objet technique soit trouvé beau, il faut qu’il soit compris. Notre première
réaction face à beaucoup d’objets techniques – prenons par exemple le train –
est d’abord d’être stupéfait ou intrigué. Les objets techniques sont souvent
des machines, curieuses, parfois imposantes, et lorsque nous ne savons pas à
quoi elles servent, elles nous étonnent. En somme, lorsque nous en ratons l’utilité,
nous en ratons aussi la beauté. Tous ces fils, ces mécanismes, ces puces
électroniques, toute cette matière, si nous ne savons pas quel est le but de
tout cela, nous ne pouvons pas en être ému. Lorsque nous disons : « Ca
c’est une belle voiture », nous voulons dire au fond deux choses : d’une
part, que la forme est belle (mais pour que la forme soit belle, il faut
comprendre à quoi elle sert : par exemple, l’aérodynamique a l’importance
que l’on sait), et d’autre part, que la machinerie elle-même, le moteur, l’intelligence
technique nous impressionne. C’est une voiture qui va sans doute très vite.
Mais si l’auteur a raison d’insister sur l’importance de
l’information ou du savoir dans la beauté d’un objet technique, suffirait-il alors simplement, pour trouver vraiment beau le monde humain, y compris dans ce
qui nous apparaît d’abord très laid (une zone industrielle par exemple…), de nous informer à son sujet ? [mise en place d’un
doute, d’une critique]
Question 3 – Pourquoi ne peut-on se satisfaire de la seule
fonctionnalité des objets techniques ?
A première vue, un objet technique est fait pour être
fonctionnel. Il faut en effet bien distinguer [essai de définition, en
introduction] un objet technique d’une œuvre d’art, et par conséquent la « beauté »
de la « fonctionnalité ». Un objet technique, comme une voiture, un
avion, un frigidaire, un téléphone portable, est fait pour être utilisé. Il n’a
pas vocation, d’abord, d’être contemplé. C’est ce que l’on peut appeler sa
fonctionnalité. Une œuvre d’art, au contraire, un tableau, un roman, une
musique, est faite pour donner du plaisir, pour être soit regardée, soit lue,
soit écoutée. Elle n’est pas fonctionnelle : elle est d’abord belle.
Pourtant [mise en place d’un problème], peut-on se contenter d’une opposition
aussi stricte ? Car il nous arrive aussi bien de trouver des objets
techniques beaux (une belle voiture par exemple) que des œuvres d’art « fonctionnelles »
(ne peut-on pas dire qu’une musique nous est « utile », par exemple
lorsque nous ne sommes pas bien ? Ou qu’elle a une « utilité » :
nous donner du plaisir ?). En somme, pourquoi l’homme ne peut pas se
satisfaire de vivre uniquement dans un monde utilitaire, seulement utilitaire ?
Pourquoi a-t-il besoin de donner ou de trouver de la beauté jusque dans les
objets les plus techniques, plus fonctionnels ?
Pour le savoir, nous nous demanderons dans un premier
temps [annonce du plan] pourquoi les objets techniques nous apparaissent d’abord
et uniquement fonctionnels [thèse n°1] avant de nous demander, dans un second
temps, s’il n’y a pas de la beauté, justement, dans leur fonctionnalité même [thèse n°2 qui
est celle de l’auteur], ce qui nous permettra de nous demander, dans un dernier
temps, si l’homme peut se satisfaire uniquement de l’utilité des choses.
A première vue, donc, les objets techniques nous
apparaissent d’abord fonctionnels. On peut même dire que c’est là leur
principal but [annonce de la thèse].
Pour le comprendre, il faut simplement se rappeler qu’un
objet technique n’est pas destiné, comme un objet d’art, à être simplement
admiré [argument]. Prenons l’exemple de l’artisan. Dans le même d’artisan, il y
a le mot « art », ce qui indique bien que le travail d’un artisan –
un ébéniste par exemple, qui travaille le bois – est très proche du travail d’un
artiste. Pour une simple raison : l’artisan et l’artiste travaillent de la
matière. Un artisan ébéniste travaille le bois : un artiste sculpteur
travaille par exemple le marbre. Tous les deux utilisent donc des savoirs, des
méthodes, des règles, des outils. Mais, à la différence de l’artiste, l’artisan
ne travaille pas uniquement pour produire un objet beau, mais un objet que l’on
pourra utiliser. De plus, un artisan travaille sur des objets en série :
il en produit plusieurs, parfois beaucoup, qui se ressemblent (voire sont
identiques). Tandis qu’un artiste, normalement, produit des œuvres uniques.
Pour autant, il y a dans l’expression « objet
technique » une dimension qui nous paraît supplémentaire : par « objet
technique », il faut peut-être entendre quelque chose de plus qu’un
travail artisanal : un travail « industriel ». L’industrie, ce
serait un peu l’artisanat, mais à très grande échelle, et de manière plus
anonyme. Si l’on reconnaît un artisan dans un meuble, dans un travail
particulier qu’il a fait, dans l’industrie au contraire, les objets sont
produits en si grand nombre, et par un nombre si grand de personnes, que l’objet
technique industriel perd tout aspect « personnel ». Sur une voiture
ou un avion, on reconnaît la trace d’une grosse entreprise : pas la trace
d’un homme ou d’un artisan en particulier. On comprend donc qu’un tel objet
soit d’abord et uniquement « fonctionnel ». Il est difficile d’admirer
– de trouver beau – un objet produit en masse.
Mais dans ce cas [transition critique, qui pose une
question] : pourquoi les objets techniques nous paraissent-ils parfois
beaux ? Comment expliquer que nous ne nous contentons pas, en général, de
nous en servir, mais que nous avons plaisir à les posséder, et même à les
regarder ?
Pour le comprendre, il faut repartir de la thèse du texte
que nous étudions : les objets techniques sont souvent beaux, à partir du
moment où nous les comprenons.
En effet, imaginons un individu qui, pour une raison ou
une autre, n’aurait jamais vu dans sa vie une voiture, un avion ou des pylônes
électriques. Quelle serait sa première impression : sans nul doute, l’étonnement,
l’incompréhension, voire parfois le dégoût. Un objet technique est le plus
souvent une machine, et une machine ne fait rien d’abord pour se montrer belle.
Elle est un ensemble de rouages, de mécanismes, de fils, de composantes, et c’est
tout. Qui trouverait « beau » un ordinateur, s’il ne savait pas ce
que c’était ? Or, toute la thèse de Gilbert Simondon dans son texte Du Mode d’existence des objets techniques, nous l’avons vue, c’est de considérer
qu’un objet technique peut être beau, et même très beau, à partir du moment où
nous le comprenons bien [reprise de la thèse du texte]. Lorsque je suis
informé, non seulement de la manière dont un objet technique fonctionne, mais
encore du service rendu par cet objet technique, je peux commencer de le trouver
beau. Mais il faut également un autre critère : il faut que cet objet s’inscrive
dans son cadre, dans son paysage, dans le milieu auquel il est destiné. Un
bateau en pleine terre est un objet inutile, idiot, en panne. Mais un bateau en
pleine mer est quelque chose de puissant, d’impressionnant, d’utile, d’efficace,
il brave les éléments, et en cela il peut être digne de beauté.
Mais dans ce cas, est-ce à dire que les hommes ne peuvent
pas se contenter de l’utilité d’une chose ? Ne serions-nous pas poussés,
toujours, à voir ou à mettre de la beauté dans les choses ?
C’est en effet la thèse que l’on peut soutenir pour
finir. Au fond, l’homme n’est-il pas cet être qui ne peut pas se contenter de l’utilité
des choses ? Car que serait un monde entièrement utile ? Rien n’y
serait plaisant en lui-même, ni admirable. Nous ne chercherions plus rien à
embellir ou à décorer les choses. Les voitures ne seraient que voitures – simplement faites
pour nous emmener d’un point A à un point B. Les vêtements ne serviraient qu’à
se réchauffer. Les appartements qu’à s’abriter du froid ou de la nuit. L’homme
est un être pour qui les choses ne suffisent pas, les besoins ne suffisent pas.
Il désire autre chose : que son cadre de vie soit non seulement efficace
(fonctionnel) mais plaisant (agréable, admirable même). C’est pourquoi l’on
peut conclure que les objets fonctionnels ne seront jamais uniquement
fonctionnels. Dès que nous inventons techniquement quelque chose, nous
désirons immédiatement embellir cette invention, lui trouver une forme
agréable, par exemple grâce à cette discipline très importante que l’on appelle
le design. Contrairement peut-être aux animaux (du moins à la plupart des
animaux), l’homme ne cherche pas qu’un refuge dans le monde : il cherche
un lieu agréable, un beau lieu où vivre.
A la question de savoir si l’homme peut seulement se
satisfaire de la fonctionnalité des objets techniques [reprise de la question],
nous avons donc vu [récapitulation] que si le caractère fonctionnel des objets
techniques est bien ce qui les distingue des œuvres d’art [première partie],
les hommes ne sauraient pourtant se satisfaire du caractère utilitaire des
choses, et que, grâce notamment à l’éducation ou l’information, ils étaient
amenés très souvent à trouver de la beauté jusque dans les objets techniques –
ce qui remet en question le strict partage entre art et technique [deuxième
partie]. Au final, l’homme ne serait-il pas cet être pour qui l’utile doit
toujours avoir un aspect inutile, le fonctionnel toujours quelque chose de beau ?
Ou, autrement dit : l’homme n’a-t-il pas besoin, pour bien vivre dans le
monde, que les choses non seulement soient efficaces, mais aussi toujours – d’une
manière ou d’une autre – agréables, émouvantes, voire belles ?
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