Deux portugais parlent de la conscience : Damasio et Pessoa


    Puisque nous avons mis en valeur le Portugal dans ce cours, faisons-le une dernière fois. Deux auteurs portugais que vous avez déjà rencontré : Antonio Damasio, neurologue, spécialiste du cerveau, et Fernando Pessoa, poète, écrivain.
      L'un, Damasio, va dire les choses à travers des expérimentations neuronales.
      L'autre, Pessoa, va le dire à travers sa propre expérience et sa sensibilité.
   Le premier explique (retrace le flux cérébral), l'autre exprime (rapporte ce qu'il ressent). Mais les deux sont en parfaite concordance. Et ainsi, la littérature (mais aussi la philosophie, la religion) a souvent découvert toutes ces choses avant que l'on parvienne à les expliquer.
       (Il y a là d'ailleurs tout un petit travail philosophique à faire sur la distinction expérimentation/expérience, explication/expression).

Antonio Damasio
"L'esprit [la conscience] est donc une construction en kit ? [comme ces objets que l'on monte petit à petit]. Il se forme en effet par
étapes distinctes. D'abord, au niveau du tronc cérébral, jaillissent spontanément les sentiments primordiaux, qui nous permettent à l'état de veille de sentir notre corps vivant, c'est le "protosoi". Puis, seconde étape, vient le soi-noyau, où s'exprime le sentiment d'émotion, né de la relation entre soi et l'objet ; ensuite, plus élaboré, le soi autobiographique. C'est lui qui embrasse tous les aspects de la personnalité sociale, le "moi social" comme le "moi spirituel". Evidemment, il existe un lien de dépendance entre les différentes étapes du soi : le soi autobiographique peut être compromis par certaines maladies comme Alzheimer, alors que le soi-noyau restera intact, preuve de la dépendance du premier vis-à-vis du second." 
(Entretien donné à L'Express)
[En somme, vous perdez votre mémoire, vous perdez l'idée de votre "identité", vous n'êtes plus une "personne" au sens social : et pourtant vous continuez d'agir, de réagir, de savoir marcher, savoir utiliser les choses autour de vous. Un moi est "désactivé", peu à peu, mais pas les "autres".]

                                                        Fernando Pessoa
"Je ne sais qui je suis, ni quelle âme est la mienne. Quand je parle avec sincérité, je ne sais quelle est cette sincérité. Je suis diversement différent d’un moi dont je ne sais s’il existe. J’éprouve des croyances que je n’ai pas. Je fais mes délices de désirs qui me répugnent. Ma perpétuelle attention à moi-même me signale perpétuellement des trahisons de mon âme envers un caractère que je ne possède peut-être pas, et qu’elle ne juge pas non plus être le mien. Je me sens multiple." 
(Un Singulier regard)
[En somme, Pessoa a le pressentiment qu'en lui, tout n'est pas "de" lui, et même : tout n'est pas entièrement ce qu'il pense être son "identité". Il sent au cœur de sa sincérité autre chose, un désir en même temps de ne pas l'être, ou de mentir. Ou disons : la possibilité d'être toujours autre chose. C'est bien faire l'expérience - mais avec un degré d'intensité ou de vivacité hors du commun - de la conscience humaine.]

Commentaires