Classe STMG - cours n°3 : l'art et le cinéma


L’enjeu de la séance d’aujourd’hui : la technique au cinéma

            Continuons donc notre cours sur l’art par rappeler où nous en étions : après quelques exercices techniques très simples, semblables à ceux que l’on fait pour s’échauffer au sport, nous avons distingué la technique (et notamment l’artisanat) de l’art. Ce cours procédera donc, comme je l'avais indiqué, à la manière d’une « Question 3 » d’explication de texte ou d’une dissertation : trois parties, c’est-à-dire un dialogue, c’est parti !

            Notre question était la suivante : « Faut-il opposer l’art et la technique ? »

            Vous avez compris l’enjeu : l’art semble d’abord faire partie de la technique. Ou disons que la technique serait la catégorie la plus générale (= production d’un objet), et l’art serait un cas particulier de cette catégorie (= production d’un objet beau, qui ne se réduit pas à l’utilité). Et pourtant, comme on va le voir, il semble qu’il y ait dans l’art autre chose, quelque chose « en plus » comme on dit, qui nous interdit de le ramener seulement à la production d’un objet technique. Un grand tableau, une belle musique, un roman émouvant : pourquoi toutes ces choses semblent avoir un caractère différent, on dira : un caractère « spécifique », irréductible à des techniques ?

            Vous l’avez compris, dans le cadre d’un exercice de type baccalauréat, il faudra tourner autour de ce problème : la place de la technique dans l’art. Pourquoi certaines œuvres restent, durent, pourquoi disons-nous à propos de certains films : « Ah ça, c’est un grand film ? »Est-ce le talent, ou bien les moyens matériels mis en œuvre, ou les acteurs, ou le scénario, etc. ?

            Pour observer tout cela en détail, faisons comme si nous étions encore (ah… la nostalgie !) au lycée Evariste Galois ! Vous le savez, nous consacrions le plus souvent le mardi à des activités pratiques, et l’autre séance de la semaine à un cours plus classique.  On procèdera donc de la manière suivante :

-   - Aujourd’hui, séance « mardi » : activité pratique avec pour thèse principale : « L’art relève d’abord et surtout de la technique ». Activité pratique car nous observerons un exemple passionnant et actuel : l’histoire du « plan » au cinéma.
-   - Quant à l’autre cours de la semaine, c’est-à-dire le cours suivant, il s’agira d’un cours plus classique, autour d’un texte de philosophie, avec pour thèse principale : « L’art ne se réduit pas à la technique ».

Bref, deux parties de dissertation ou deux parties de « Question 3 » : la dernière partie sera le dernier cours, la semaine prochaine !

Une très courte histoire du cinéma

            Profitons de la séance d’aujourd’hui pour rappeler l’un des objectifs secrets de ce cours sur l’art : ne restez pas trop passifs dans votre vie devant les choses que vous aimez. Si vous aimez les jeux vidéo, renseignez-vous sur la manière dont ils sont faits, quelle nouveauté dans les graphismes ou quelle nouveauté dans la technique un jeu apporte-t-il, par exemple.
            C’est un peu comme au sport : on aime bien sûr voir un match, mais on aime également refaire le match, en discuter après, entendre des pros en parler, c’est-à-dire entendre des analyses. Le but de la philosophie, c’est à peu près la même chose : faire une analyse de ce que l'on a vécu.

La technique au cinéma est considérable, vous vous en doutez, puisque tout est construit : ce n’est pas simplement du théâtre, où il n’y a que des acteurs. Pour chaque plan au cinéma vous avez un éclairagiste, un micro, un cameraman, sans compter parfois un metteur en scène, des personnes pour les costumes, le maquillage, et à la fin de la chaîne, je veux dire à la fin du tournage, un monteur, celui qui monte les plans du film, etc. On est toujours un peu étonné, à la fin de chaque film, lorsqu’on voit le générique défiler, de voir que des centaines de personne sont intervenues sur un film.

Seulement, il y a un problème. Nous avons trop l’habitude des films. Nous naissons dans des images, sur les télévisions autour de nous, les ordinateurs, les portables, notre vie est constamment accompagnée de bout de série, de film, de téléfilm, de vidéo, de clip, etc.

            Bref, il y a un risque : c’est que nous oublions que le cinéma repose sur des codes, des codes visuels. Et ces codes, justement, reposent sur des techniques. On pourrait presque avoir l’impression, d’ailleurs, que ce sont ces techniques qui font l’essentiel de la beauté d’un film.

          Prêtez bien attention ici à une distinction conceptuelle très recommandée au baccalauréat entre la technique et les techniques. La technique au cinéma, c'est l'appareil cinématographique lui-même, c'est le support matériel si vous voulez, qui a été inventé dans les années 1890. Les techniques au cinéma, ce sont les méthodes pour faire un scène, par exemple, mais aussi les trucs, les astuces, les recettes qui vous permettent de réaliser un beau plan. 

            Bref, lorsque c’est comme ça, je veux dire : lorsque nous ne sommes plus capables de nous étonner à nouveau de la beauté d’un art, de le redécouvrir vraiment, d’en faire l’expérience « comme si c’était la première fois », il n’y a qu’une seule solution : repartons de zéro. Remontons le cours du temps et allons voir le cinéma à sa source : lorsqu’il naît.

            Et là, première stupéfaction : le cinéma, à l’origine, n’était pas du cinéma.

Le cinéma est inventé après le cinéma !

            Bien sûr la formule peut vous paraître bizarre : comment le cinéma peut-il être inventé après le cinéma ? Mais ce n’est pas si difficile à comprendre : lorsque les hommes inventent une technique, il leur faut souvent beaucoup de temps pour comprendre vraiment cette technique. Prenez internet : invention militaire, qui n’était pas destinée à devenir un immense réseau social et ouvert à tous. Il faut du temps, tout simplement parce que les mentalités ne sont pas préparées.

            Ou pour le dire autrement : le cinéma comme objet technique (comme matériel, comme machine) est d’abord inventé, à la fin du XIXe siècle. Mais le cinéma comme art (comme utilisation profonde, complexe, intelligente, émouvante de l’objet matériel) est inventé plus tard, une décennie peut-être après. En somme : de l’objet technique à la bonne utilisation de l’objet technique (à l'art donc), il faut du temps.

            Si vous en avez l’occasion, je ne peux que vous encourager à regarder quelques films ou quelques extraits de films du tout début du cinéma. Vous y sentirez je crois ceci, qui fait l’objet de notre cours d’aujourd’hui : faire un film, faire une scène, faire un plan demandent énormément de techniques, de codes. Un film, c’est une construction. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les premiers cinéastes n’avaient pas encore l’idée de tout ce qu’ils pouvaient construire.

Comment bien filmer une grosse baffe ?

            Passons tout de suite à un exemple : vous voulez filmer une action. Disons celle-ci : des gens sont rassemblés, ils discutent, et puis ils se bagarrent. Comment on fait ?

            Cela peut vous paraître étonnant, mais le premier réflexe des cinéastes, ce fut celui de poser la caméra.
            Ils n’ont pas eu tout de suite l’idée de déplacer la caméra. Ils se sont dit : « L’œil n’y comprendra rien du tout. Et puis un œil ça ne bouge pas. Donc faisons comme d’habitude ». Et l’habitude, c’est quoi ? Le théâtre. C’est-à-dire : une scène plate, immobile, pas trop grande (l’œil ne peut pas tout embrasser sinon), des gens dessus, et c’est tout.
            Bref, le cinéma ne commence pas tout à fait par faire du cinéma : il commence par faire du théâtre filmé.

Mais au fond, c’est peut-être un réflexe évident. Si vous êtes dans la rue, et qu’il y a une bagarre qui commence devant vous, vous êtes un peu comme au théâtre. Tout est fixe, votre œil voit tout, embrasse tout, sans souci. Vous ne pouvez pas faire des gros plans soudain sur le visage d’un tel, ou bien changer brusquement d’angle de vue – à moins que vous changiez de trottoir, bien sûr.

Ce qui est intéressant c’est que les jeux vidéo, le cinéma, la peinture, tout commence de la même façon, si j’ose dire. Les premiers jeux vidéo sont un peu "théâtraux" : plan fixe, beaucoup d’immobilité, pour que tout soit très clair et très simple pour le joueur, je veux dire le joueur débutant, puisque les premiers jeux vidéo s'adressaient évidemment à des gens qui n’ont aucune idée du fonctionnement graphique, visuel, d’un jeu. L’œil n’est pas habitué, ni vos doigts sur la manette.
            Eh bien c’est pareil aussi pour la peinture.
            Je vous montre donc trois exemples (ici en image, puisque nous sommes sur le cours publié, mais j’ajoute à chaque fois un lien Youtube où vous pouvez aller voir en vidéo des extraits – en espérant bien sûr que ces liens fonctionnent toujours lorsque vous viendrez les consulter).

            Jeu vidéo (Mario Bros, 1983) :


            Peinture (Giotto, 1266-1337), où je vous demande de bien considérer la façon qu’il a de tout rapporter sur le même plan, de « condenser » si vous voulez l’action sur une même scène, comme au théâtre :



            Et regardez à présent cette image, elle est tirée d’un des premiers films de l’histoire, film très célèbre d’ailleurs, Le Voyage dans la lune de Georges Méliès (1902) :


            Bref, dans les trois cas, il s’agit de ce qu’on peut appeler un plan fixe. Alors je sais, dans Mario Bros le plan va bouger, avec votre personnage, c’est vrai. J’aurais pu prendre Pac-man ou Tétris, jeux où l’arrière-fond ne bouge pas. Mais Mario Bros est emblématique dans la mesure où, comme le premier cinéma ou la première peinture, il essaie de résoudre habilement le défi de toute image : tout faire comprendre en très peu de place et en très peu de temps.

Lorsque le cinéma quitte enfin le théâtre

            Le cinéma a quasiment une date d’invention – je veux dire, encore une fois, une date d’invention en tant qu’art, art distinct du théâtre. C’est lorsqu’on comprend que pour filmer une action, on peut varier et complexifier les angles de vue.

            Vous allez voir, ce plan, qui est sans doute le plan le plus courant, le plus universel de tout le cinéma, vous le connaissez par cœur, et vous n’aurez aucun problème à le comprendre. Et pourtant, il a fallu un certain temps pour l’élaborer, dans l’histoire du cinéma. Et c’est grâce à cette technique, encore une fois, que l’art cinématographique va vraiment exister.

            Reprenons ensemble : vous êtes dans un film, et il y a une baston.
            Voilà ce que vous voyez : dans une image, un type frappe un autre type. On voit très clairement l’action, le coup de poing, et le type qui se le prend dans le visage.
            Que se passe-t-il ensuite ?
            Eh bien, dans le tout premier cinéma, on serait resté sur la même image. Le plan n’aurait pas changé, c’est-à-dire que la scène n’aurait pas changé. Le type qui reçoit le coup de poing tombe devant l’autre, et c’est tout. A distance de nous, comme au théâtre.
            Mais au bout d’un moment, les cinéastes ont une autre idée : on va changer brusquement d’image. On va en faire deux. Dans la première, on l’a vu, c’est la grosse baffe dans la gueule ; mais dans la deuxième, on va juste filmer un type qui tombe par terre, qui s’effondre.
            En somme, on va juste demander au comédien de faire un autre plan, dans lequel il tombe Et en associant ces deux images, en les réunissant, le public va comprendre : « D’abord, le mec se prend la baffe, ensuite le mec tombe. »

            Résumons une nouvelle fois : on a légèrement complexifié le plan, pour que l’action soit plus dynamique. Au lieu d’une image, on en aura deux.

            Voilà un exemple fameux de code ou de technique, que votre œil – malgré vous – a appris, a enregistré, au point que vous n’avez plus aucun mal, aujourd’hui, à le reconnaître.

Vous savez, surtout si vous aimez voir des « making of », sur un plateau de cinéma, c’est assez étrange : on ne filme que des bouts d’action. On dit par exemple à un acteur : « Bon dans cette scène tu tombes, c’est tout ». On met la caméra, on tourne, ça dure cinq secondes, et on a la prise. Juste un bout d’image, qui n’a pas de sens en elle-même. Il faut les images avant et après pour qu’elle trouve du sens.

            Regardons cela avec un exemple, extrait d’un film de Charlie Chaplin, donc un vieux film : The Kid (1921), qui est par ailleurs un très beau film que je vous conseille de voir.

Dans cet extrait, vous avez un enfant qui jette des pierres sur des fenêtres pour les casser, afin que son père (ou plutôt l’homme qui a recueilli l’enfant, qui était orphelin) passe juste après en disant : « Oh justement, je répare les fenêtres ! » Bon, c’est un gag de film comique, peu importe. L’idée c’est que là, ça y est, le cinéma a compris : un plan sur le gamin qui jette la pierre, un autre plan sur la vitre cassée, et voilà le tour est joué : on n’a plus besoin de tout filmer sur un même plan, comme un théâtre (https://www.youtube.com/watch?v=qNseEVlaCl4)




Lorsque la caméra avance : se trouver auprès des acteurs

            Mais il reste encore une découverte technique capitale, pour en arriver au cinéma tel que nous le connaissons.
            Au théâtre, le spectateur est immobile, vous êtes assis dans la salle, vous ne pouvez pas vous déplacer.
            Et au cinéma ? Eh bien oui et non. Au fond, au cinéma, la caméra c’est un peu vous. Et la caméra, elle, elle peut être mobile. Les premiers cinéastes en tirent rapidement la conclusion qu’il faudrait faire avancer la caméra.
            Mais comprenez bien pourquoi je parle de technique : pour que la caméra avance, il faut d’une part en avoir l’idée (et, encore une fois, ce n’est pas évident au début) et d’autre part en avoir la possibilité technique ou matérielle, autrement dit il faut une caméra un peu plus légère, un peu plus compacte, un peu plus portable tout simplement. Et cela aussi ça demande des années.

Il y a deux manières, pour une image au cinéma, d’avancer : il y a le zoom et il y a le travelling. Le zoom, c’est lorsque la caméra reste fixe, mais qu’on augmente avec l’objectif sa visée, on la précise, mais par là on risque évidemment d’obtenir une image certes plus resserrée, mais aussi de moins bonne qualité. Tandis que le travelling, c’est à proprement parler une caméra qui avance, par exemple sur des rails aménagés de telle sorte que l’on suive des personnes lorsqu’ils marchent.

Regardons un exemple célèbre, le début de La Prisonnière du désert de John Ford (1956), l’un des plus grands western de l’histoire. Prêtez bien attention à ceci, parce que nous avons tendance aujourd’hui – encore une fois parce que nous sommes trop habitués à ces images – à oublier ce que veut dire cette caméra, surtout lorsque des spectateurs la découvre pour la première fois : vous êtes dans la scène. Vous êtes dans le dos de la comédienne, ou plutôt du personnage. Vous êtes avec eux, en « immersion » comme on dit :

            Le début de La Prisonnière du désert de John Ford :

https://www.youtube.com/watch?v=z9s-BncrBFM

Le problème de toute technique : cela se démode

            Le problème de la technique, au fond, c’est que la technique ne fait que progresser. Une locomotive à vapeur c’est bien : mais dès qu’on invente le train électrique, cela nous paraît vieux. Les techniques ne font qu’avancer, et en avançant elles rejettent les techniques passées. Ecoutez une chanson des années 1980, et vous entendrez souvent un certain son – son de synthé – qui vous paraîtra un peu trop artificiel, électronique, mais d’une électronique dépassée, rudimentaire, justement.
            Au cinéma, c’est la même chose. Il y a des mouvements de caméra, dans le cinéma passé, qui sont très audacieux, courageux : mais qui nous gênent un peu aussi. On sent la technique derrière le plan, on sent le caméraman. On en vient à prêter plus d’attention à la caméra qu’à la scène. Quelque chose ne va pas.

            Il faut bien que vous compreniez pourquoi. Votre réflexe, au cinéma, c’est de supposer que ce que vous voyez, cela pourrait être la vue ou l’angle de vue d’un personnage. Prenez les films d’horreur : ils reposent souvent sur un plan, « en vue subjective » comme on dit, un plan qui avance lentement dans un appartement, fouille les meubles, ouvre les portes ! Ce plan, votre œil le comprend bien vite : c’est sans doute l’assassin, ou le criminel, ou le monstre ! Bref, vous avez compris : dès qu’on nous montre quelque chose avec une caméra, on suppose toujours un peu que c’est la « vision » de quelqu’un. Au fond, on veut savoir « qui » regarde, « qui » est derrière. Et c’est pourquoi le plan de La Prisonnière du désert est émouvant : la caméra est-elle quelqu’un ?

"Qui" me suit par derrière ?

            Alors regardez à présent ce travelling dans un des grands films d’Alfred Hichcock, Les Enchaînés (1946). Il me semble que là, ce plan, cette technique nous paraît un peu périmée, hélas peut-être. On sent que cette technique a été très explorée il y a un certain temps, mais que depuis l’on n’ose plus trop faire de cette façon, même si cela reste très beau :

https://www.youtube.com/watch?v=reWOxLvp5sA

Quand une technique ruse avec nous

            Terminons notre très rapide voyage dans le cinéma avec cette dernière technique.
            Vous vous rappelez peut-être que lors de notre séance sur la musique et les chansons, je vous avais dit qu’une des techniques très utiles pour les musiciens, c’est paradoxalement de laisser un silence. Paradoxalement, puisque la musique, c’est l’art du son, et que là il s’agit justement de laisser de minuscules moments sans son. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’oreille, qui s’efforce de suivre des sons, est prise soudain d’étonnement, d’attention, d’impatience : elle veut savoir ce qui va arriver.
            On pourrait presque parler de ruse : jouer avec nos attentes. Faire ce que l’on ne fait pas normalement.
            Eh bien au cinéma c’est absolument pareil, sauf que ce n’est pas du silence (sonore) mais une pause (dans l’action).

            Un plan, au cinéma, est fait pour qu’il s’y passe quelque chose, en général de l’action. Alors certes, parfois, on voit à l’écran des discussions : par exemple deux policiers discutent à propos d’un meurtre en prenant une bière dans un bar ! Il n’y a pas beaucoup d’action, certes, et pourtant cette scène est faite pour faire avancer l’action. Elle apporte des informations, par exemple, qui permettront à l'enquête d'avancer.
            Il est donc très rare qu’on nous montre un plan qui ne sert absolument à rien – à part ces plans, vous savez, de transition. Par exemple, dans un film, le héro arrive à Las Vegas, alors qu’est-ce qu’on montre ? Des plans de Las Vegas, simplement des plans « carte postale » si j’ose dire, avec les avenues, les voitures, les casinos, etc.

Mais le cinéma a compris petit à petit que c’est justement parce qu’on attend toujours qu’il se passe quelque chose dans un plan, qu’on est ému parfois par un plan où il ne se passe rien. Si vous prêtez bien attention aux films et aux séries que vous regardez, vous remarquerez qu’il y a souvent des plans où l’action se passe ailleurs : la caméra ne regarde pas l’action elle regarde les personnages pendant ce temps. Au lieu de filmer ce qui est essentiel, elle filme ce qui ne l’est pas, le quotidien, l’attente, les pauses, l’émotion, la solitude, etc.

Prenons un dernier exemple pour aujourd’hui, avec le film japonais Tel père, tel fils d’Hirokazu Kore-eda (2013).

Je vous résume d’abord en deux mots l’histoire :
Dans un hopital, deux enfants ont été échangés par erreur à leur naissance. Vous savez, cela arrivait parfois, il y avait inversion, les infirmières par exemple se trompaient, etc. Dans le film dont je parle, vous avez donc deux familles qui se rendent comptent que leur enfant, qui doit avoir 4 ou 5 ans, n’est pas biologiquement le leur. Ils hésitent sur ce qu’ils doivent faire, et ils passent un week end ensemble pour décider. Finalement, ils décident de rendre à chaque famille son enfant biologique. Mais je vous rassure, ils se rendent compte finalement que c’est la mauvaise solution, et que ce sont les liens du cœur qui l’emportent sur les liens du sang ! Bref.

Dans cet extrait, on est justement au fameux week-end. Et vous avez le père d’un des deux enfants qui dit à son fils (celui qu’il a élevé) qu’il va devoir partir, rejoindre l’autre famille.

Regardez bien comment c’est filmé, c’est passionnant.
Les deux se parlent, ils sont près d’une rivière, et soudain quelqu’un les appelle. On ne le voit pas, il est en dehors du plan, en dehors du « champ » comme on dit : c’est l’autre père, qui leur demande de venir prendre une photo tous ensemble. Le garçon s’en va, il quitte le plan sur la gauche, il sort du plan, tandis que le père, lui, reste seul, debout, à le regarder.
Le plan dure une dizaine de secondes. Pendant une dizaine de secondes il ne se passe rien. L’action n’est pas là. L’action est avec l’autre famille, mais le réalisateur choisit de laisser la caméra ici, de la laisser sur cet homme seul, silencieux, pensif, et triste bien entendu (https://www.youtube.com/watch?v=BmiWzx7B3iM)
A vous de me dire si vous trouvez que cette technique fonctionne sur vous !

1) Le père et son fils discutent

2) L'autre père les appelle pour prendre une photo tous ensemble

3) L'enfant quitte le "champ" sur la gauche (rejoint l'autre père), tandis que son père reste seul, immobile, silencieux.


           

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