Classe STMG - Cours n°2 (liberté et art)
Fin du cours sur la liberté
Philosopher, c’est faire le « débriefe » de la vie
Pourquoi adorons-nous "refaire le match", comme l'on dit ? |
On partira aujourd’hui d’un fait très simple : nous n’aimons pas seulement voir un match, nous aimons en parler ou, comme l’on dit, « refaire le match » entre amis. C’est à peu près vrai pour toutes les choses qui nous importent : un événement dans notre journée, nous avons envie de le raconter le soir, à nos amis, aux personnes que nous aimons, etc. L’une des caractéristiques de l’être humain, si l’on en croit l’anthropologie ou la psychologie, c’est le besoin de refaire, de réécrire, de reprendre, de recommencer ce qu’il vit.
Débriefer un match, c’est-à-dire :
faire le bilan d’un match. Débriefer la vie ou l’existence : faire le
bilan de notre expérience de la vie. Seulement cela implique une chose très
simple : pour faire le bilan du match, il faut que le match ait déjà eu
lieu. Pour faire le bilan de la vie, c’est-à-dire pour philosopher un peu, il
faut avoir déjà un peu vécu. C'est pourquoi l'on attend la classe de Terminale pour en parler.
Toute
la leçon, en dehors du baccalauréat, de la discipline est donc bien celle-ci :
essayez de reprendre un peu votre vie, de l’examiner, un peu comme vous
examineriez un match important. Et par exemple, posez-vous cette question :
ai-je été vraiment libre, ai-je vraiment décidé ce dont j’ai décidé ?
Un exemple : le « déterminisme social »
Pour comprendre un terme, il faut comprendre à quel terme il s’oppose. Et c’est vrai pour tout. Pour comprendre la thèse de quelqu’un, il faut comprendre à quelle thèse elle s’oppose (dans une explication de texte par exemple). Pour comprendre les partis politiques de gauche, il faut comprendre ceux de droite. Pour comprendre la croyance, il faut comprendre l’incroyance, etc. Celui qui est incapable de penser ceux qui ne pensent pas comme lui, on peut douter de sa pensée.
Voici
donc l’exemple : toutes les études sociologiques montrent que votre
réussite scolaire ne dépend pas entièrement de vous – et même, qu’elle en
dépend beaucoup moins que ce que vous croyez. La découverte s’appuie ici une
simple technique : la statistique. Les statistiques montrent en effet que
nous agissons comme notre groupe social. Nous nous pensons souvent libre, ou
original, ou différent : or les statistiques montrent qu’en fait nous
faisons comme la plupart des autres gens de notre groupe.
Qu’est-ce
qu’un groupe social ? Tout simplement l’ensemble des gens qui partagent
avec vous un certain trait économique – par exemple un bas salaire ou un haut
salaire – ou un certain trait social – par exemple être issu de l’immigration
récente ou non.
Or, en
général, nous ne sentons pas l’influence ou la pression de notre groupe social.
Encore une fois, nous avons souvent l’impression de « pouvoir faire ce que
l’on veut » (liberté au sens faible). En réalité nous sommes poussés
malgré nous dans certaines directions, et davantage encore : nous sommes
modelés, configurés par le groupe dans lequel nous sommes, au point que nous ne
pouvons même pas imaginer les autres possibilités d’action, de choix, etc.
Puis-je ne pas devenir la copie de ma famille ?
Son Goku, Son Gohan et Son Goten, ou l'histoire d'une famille où tout le monde se copie ! |
On
appellera cela d’un terme qui serait contraire à celui de « liberté »,
une espèce de contre-liberté. Si la liberté est le pouvoir de choisir
volontairement et consciemment, de commencer une action nouvelle, inédite, sans
y avoir été obligé, on lui opposera donc le « déterminisme », qui est
lui le fait d’être poussé, façonné par quelque chose qui nous précède.
Si je dis par exemple :
« Un élève issu d’un milieu social favorisé aura plus de chances d’obtenir
son baccalauréat avec mention », qu’est-ce que je dis au fond ? Cet
élève est-il libre de réussir ? Oui et non. Il part avec des avantages. Est-ce que son milieu social
produit ou façonne sa réussite ? Sans doute oui. Le déterminisme, c’est
cela : cette façon de devoir son action à autre chose que soi-même.
Un enfant né dans une
famille de croyants est-il libre d’être croyant ou non ? Oui et non. On dira
qu’il est sensiblement (ou relativement, ou plutôt) déterminé à être croyant.
Vous le voyez, le déterminisme n’est pas forcément un mal. On en subit
constamment, et c’est normal. Si vous êtes élevés par des parents de gauche, il
y a plus de chance – plus de probabilité, d’après justement les statistiques –
que vous soyez de gauche.
La grande question,
finalement, est la suivante : est-ce qu’il faut s’en contenter ? Puis-je
me retourner contre mes déterminismes : me retourner contre mon groupe ?
Contre ma famille ? Pas par réaction, ni par violence ou colère.
Simplement : comment l’homme peut-il faire pour conserver une marge de manœuvre
personnelle, et inventer sa vie ? Comment peut-il faire pour ne pas
devenir simplement la copie de son milieu social, la copie de sa famille, la
copie de son époque ? Devenir croyant dans une famille d’incroyant, ou
incroyant dans une famille de croyants ? Ou bien encore, malgré une
enfance dans un milieu défavorisé, profiter de ce qu’on appelle « l’ascension
sociale », c’est-à-dire parvenir à gagner une meilleure place, économique
ou sociale ?
Mais je vous laisse
débriefer pour vous-mêmes votre propre vie !
Début du cours sur l’art et
la technique
Pour ce cours, nous allons
essayer de travailler exactement comme dans le cadre d’une « Question 3 »
d’explication de texte ou comme dans une dissertation, c’est-à-dire en essayant
de faire dialoguer entre elle des positions, des idées. N’oubliez pas ceci qui
est très important : peu importe votre culture, votre érudition au
baccalauréat. L’important c’est toujours de montrer :
1) Que vous avez la patience
de vous arrêter, pour définir, discuter, poser une question,
2) Que vous avez cette
ouverture d’esprit ou de tolérance d’admettre des vérités différentes, voire
des vérités contraires.
Rappelez-vous
l’exemple de la frontière : on peut se disputer voire s’engueuler sur ce
sujet, mais l’important c’est que vous montriez que vous êtes capable de tout
entendre, et même de tout comprendre. Un croyant doit comprendre les arguments
des incroyants, un homme de gauche doit comprendre les arguments d’un homme de
droite, etc. Sans quoi la vie ne serait faite que d’individus dogmatiques,
fermés, intolérants, trop certains d’eux. Or, il nous arrive bien souvent de
nous tromper…
Quelques exercices d’échauffement
Reprendre le sport après trois semaines de confinement ! |
Faisons-donc
marcher un peu nos neurones, comme on dit ! Voici deux termes, « art »
et « technique ». Et on sent qu’il va falloir les clarifier, les
opposer, les rapprocher, bref : faire tous ces petits exercices d’assouplissement
avec des mots ou des idées. Encore une fois : ne pas se contenter des
gestes rudimentaires du débutant. Apprendre à varier la technique de son
intelligence.
Un
mot, tout d’abord, ne vient jamais seul. Quand je disais, au cours précédent, « liberté »,
d’autres mots venaient avec lui : je ne sais pas moi, « esclavage »,
« droits politiques », « choix », « décision »,
etc.
Pour
comprendre un mot, il faut toujours plonger dans ce qu’on appelle le réseau
notionnel (c’est-à-dire tout simplement l’ensemble des mots qui viennent avec
lui, qui sont associés à lui), et se montrer de plus en plus fin. Définir un
mot, c’est bien souvent le démarquer, le distinguer, etc.
Une
autre technique, que je vous répète souvent : se dire en soi-même « il y a X et X »,
c'est-à-dire ici : « il y a art et art », il y a « technique et
technique ». L'art de la passe, au
football, est-ce la même chose, par exemple, que l'art du pinceau, en peinture
?
Trouver
la bonne définition : l’exemple du tennis
Roger Federer, qui est au tennis ce que Jul est pour certains élèves de la classe à la musique : le plus grand ! |
Pour cibler de mieux
en mieux le sens d'un terme, on peut se servir des deux expressions suivantes, que
l'on a tous déjà entendu : « condition nécessaire » et « condition
suffisante ».
Chaque mot a des
caractéristiques qu'il partage avec d'autres mots : on les appellera des
conditions nécessaires.
Mais chaque mot a
aussi une caractéristique unique, qui le distingue des autres, une différence
spécifique : on l'appellera une condition suffisante.
Par exemple, si je
vous demande de définir le « tennis » (sport préféré de votre
professeur), et que vous me dîtes : « Un sport qui se joue avec une
raquette ! », la raquette est certes un élément nécessaire, mais pas
encore un élément suffisant. Pourquoi ? Parce qu'il y a aussi le ping-pong !
Il faut donc encore affiner la recherche pour en arriver à la condition
suffisante du tennis. A ce qui permet de dire : oui, là seul le tennis est comme ça.
Ce que l’art n’est pas, et ce que
l’art est
A
partir de ce petit échauffement, voyons les résultats que l’on peut en tirer
pour l’art :
Tandis que l'artisan
(terme très proche de l’art dans le réseau notionnel) produit selon des règles
un objet normalement utile et normalement répété (si c'est massivement utile
et massivement répété, on pourrait appeler cet artisanat de l'industrie), l'art
renvoie plutôt à la production d'un objet qui vise normalement la beauté, non
l'utilité, et qui est normalement unique.
Je
reprends, plus simplement : si vous fabriquez en série des poteries, qui
se ressemblent plus ou moins, même si vous y mettez beaucoup de vous-mêmes, des
techniques, du savoir-faire, vous êtes un artisan, et pas tout à fait un
artiste. Et puis, un artisan produit le plus souvent des choses utiles ou
nécessaires. Tandis qu’une belle chanson ou un beau roman ne sont pas d’abord
utiles, au sens strict (même si on peut toujours dire, bien entendu, que c’est
utile pour s’évader ou rêver).
Mais vous voyez que
dans ma définition, il entre une part de provisoire et de prudence. En somme,
c'est comme si je disais : « Je commence d’essayer à définir, et on va
voir ensuite si cela marche jusqu’au bout. »
Prenez par exemple le
critère de l'unicité : une œuvre d'art est supposée être unique (un seul
tableau de la Joconde : le reste, ce sont des copies). Mais que dire
alors d'un roman, qui est ensuite imprimé en milliers d'exemplaires, ou un
film, qui est ensuite produit en millions de copies ? Toutes ces questions
mériteraient davantage de précisions.
De même, si une
définition apporte de la lumière sur un terme (ici, l'art), c'est aussi en
apportant avec elle d'autres termes qui manquent à leur tour de lumière : par
exemple, il semble incontournable d'évoquer la beauté à propos de l'art. Mais
qu'est-ce que la beauté ?
Faire une copie de philosophie, c’est savoir organiser
une engueulade !
"Je t'ai déjà dit p***** qu'il faut pas sortir sans masque pendant le confinement !!" |
La philosophie -
différente en cela de la plupart des autres disciplines - estime qu'un
problème, ce n'est pas simplement l'intitulé d'une question. Cela repose tout
simplement sur le principe de ce que c'est qu'une conversation entre amis ou
entre individus.
Pour le dire d'abord
brièvement : on ne discute jamais quand tout le monde est d'accord. De même, on
ne discute jamais quand la solution d'un problème est évidente. On discute, on
débat, on se dispute, on s'engueule, quand on n'arrive pas d'abord à trancher
un problème, et que la solution n'apparaît pas tout de suite.
Eh bien voilà :
relever un problème, en dissertation de philosophie, c'est montrer pourquoi
l'on peut - et même, pourquoi l'on doit ! - s'engueuler sur un sujet !
Et l’on ne commence à dialoguer
(ou à s'engueuler !) que lorsqu'on est deux
L'introduction d'une dissertation ou d’une « question
3 » d’explication de texte est donc comme le préambule d'un ample
dialogue. On va parler ; c'est-à-dire : on va développer.
Mais d'abord, il faut montrer qu'on est deux, ou plus.
Que le sujet appelle au moins deux réponses, ou plus.
C’est ce que nous verrons la semaine
prochaine, à partir du sujet suivant :
« Faut-il opposer l’art et la technique ? »
Mais je vous laisse, évidemment, préparer cette
réflexion de votre côté !
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