Classe STMG - Cours n°1 (liberté)


Cours sur la notion de liberté


            Bien, ne nous laissons pas distraire par ce maudit coronavirus, et opposons-lui le plus beau des démentis en continuant de préparer le baccalauréat ! Reprenons donc, ou plutôt continuons comme si de rien n’était les cours de la semaine précédente.

            Nous avons travaillé sur la question de la justice et des lois, à travers les exemples du Parrain, de l’audience dans un tribunal français, de la Déclaration des droits de l’homme et du texte de Platon, la République, où l’on trouve le fameux exemple de l’anneau invisible (qui inspirera beaucoup plus tard Le Seigneur des anneaux de Tolkien). Nous avons travaillé ensuite sur la question de la liberté, à travers l’exemple troublant du serial killer, du débat sur l’âme et le cerveau (sommes-nous réductibles à un système neuronal, ou bien existe-t-il autre chose ?) et du suicide d’Anna Karénine dans le roman de Tolstoï.

            Il s’agit donc aujourd’hui, sur cette page, de terminer quasiment le cours sur la liberté (travail de définition, mots importants à retenir, etc.). Vous aurez un travail d’explication à rendre sur un texte dont je vous parlerai bientôt.


Comment s’en sortir dans tous les exercices de philosophie (ou presque !)

Si l'on pouvait rédiger aussi bien que Zidane jouait !

           
Je sais, j’ai déjà utilisé cette comparaison en classe, mais que cela soit au moins écrit une bonne fois pour toute dans votre cours : vos exercices de rédaction – et notamment sur la notion de « liberté » – ressemblent beaucoup à des exercices sportifs. Les meilleures copies que j’ai pu lire dans les deux groupes ne sont pas toujours des copies érudites, pleines de culture : mais elles savaient bien faire les gestes, elles étaient capables – pratiquement sur n’importe quel sujet – de dire : « Ok, on commence par faire ça, puis ça, tranquillement. »

            Dans le sport, il y a quelque chose qui distingue tout de suite le débutant du professionnel : le bon usage du corps. Quelqu’un qui commencerait, par exemple, à jouer au football ne peut pas d’abord imaginer toute la gamme possible des coups de pied – c’est-à-dire, l’usage très varié, suivant la force, la vitesse, l’angle, etc., que l’on peut faire d’un pied. De même, avec la main : lorsqu’on commence à jouer au basket-ball ou au tennis, notre usage de la main est un peu sommaire, on arrive à faire quelques gestes, très rudimentaires, tandis qu’un professionnel est capable, en utilisant la paume, les doigts, leur flexion, etc., de varier infiniment ses gestes. Le débutant est pauvre en gestes : le joueur est pro est riche.

            Or, ce que l’on vous demande de faire en philosophie, c’est la même chose, mais avec des mots et des idées. Lorsqu’on lance un mot à quelqu’un, comme un ballon, il peut en faire un usage pauvre ou un usage riche. Autrement dit, comme avec un ballon entre vos mains, vous devez chercher à varier infiniment les possibilités d’usage. Il faut donc sentir – même si c’est difficile – qu’un mot n’a jamais qu’un seul sens, et même, que la valeur de l’intelligence de quelqu’un, c’est d’être capable de saisir la multitude des significations d’un mot, d’une phrase, d’une idée, etc. Par là, vous montrez que vous ne vous contentez pas d’utiliser votre ballon de manière sommaire.

            Rappelez-vous absolument d’une chose : dans une question de cours (par exemple, « En quelle année a commencé la Révolution française ? »), votre premier objectif est de clarifier la question, de lui apporter immédiatement une réponse nette et simple (« 1789 ») ; dans une dissertation, qui me semble un exercice plus adulte, parce qu’il suppose de savoir que dans la vie rien n’est simple, dans une dissertation votre premier objectif n’est pas, étrangement, de dégager de la simplicité, mais de révéler de la complexité. Vous devez, bien sûr, être clairs : mais vous devez mettre cette clarté au service d’un grand pressentiment de la complexité du monde et de la vie.


Combien de choses faisons-nous « inconsciemment » ?

            Passons à présent à la pratique : regardons tout ce que nous pouvons faire avec ce simple mot (ce simple ballon) « liberté ».



            Pour cela, il faut peut-être partir d’un constat sur nous-mêmes que nous avons peut-être tendance à oublier : nous nous expliquons très mal. Au fond, on peut même dire que nous nous connaissons très peu. Nous rêvons, mais nous ne savons pas pourquoi nous rêvons, ni ce que veulent dire nos rêves. Nous avons des émotions : mais il faudrait dire que les émotions « viennent » ou « montent » en nous, sans que nous puissions les choisir (expression très parlante : « tomber » amoureux). Nous nous souvenons de notre passé, mais assez mal, avec beaucoup de trous ou de lacunes. De même (et c’est en lien avec plusieurs expériences scientifiques que nous avions évoquées en classe) : nos idées « viennent » en nous, elles « tombent » pour ainsi dire dans l’écran de notre esprit ou de notre conscience, mais nous ne décidons pas de « nos » idées comme dans un catalogue que l’on feuilletterait.

            Rappelez-vous bien à ce sujet du suicide d’Anna Karénine. On ne peut pas tout à fait dire que c’est Anna qui prend la décision de mourir, mais plutôt que la décision la prend soudain. C’est ce que la psychologie moderne appelle l’inconscient : la dimension pulsionnelle, involontaire de notre personne. Ces moments où l’on comprend après coup pourquoi on a agi ainsi et pas autrement. Le sentiment de retarder un peu sur nous-mêmes. Bien sûr, cela peut être dans une situation très ordinaire : nous lisons un livre, et pendant la lecture nous nous mettons à penser à autre chose ; seulement, pendant ce temps, nous continuons sans nous en rendre compte à suivre les lignes du texte et à tourner la page ! Bref, nous avons agi inconsciemment. Mais cette dimension d’inconscience peut aller encore beaucoup plus loin…


Le mot de « liberté » : deux domaines et deux sens

            Cette place, apparemment très grande, des pulsions, des humeurs, des décisions inconscientes, pose donc la question de la liberté : sommes-nous libres ? Mais, encore une fois, faisons comme au sport, et ne nous contentons pas d’un geste ou deux. Un mot, il faut le déplier.

            A première vue, on pourrait parler de la liberté dans deux domaines : le domaine politique (on parlera par exemple de « liberté d’expression »), et le domaine personnel, ou moral, c’est-à-dire tout simplement la liberté, en nous, de décider volontairement, sans que nos choix ne soient imposés par notre corps, notre cerveau, par des influences extérieures, etc. Rappelez-vous ici du serial killer : le choix de tuer semble s’imposer à lui, en lui. Peut-on dire, en effet, qu’il est libre de tuer ?

Magnifique image trouvée sur Google pour illustrer l'idée de strates dans un mot !

           
Cette distinction des domaines est très importante : elle vous permet de montrer qu’un mot a pour ainsi dire plusieurs « étages » ou plusieurs « strates », et que vous savez intelligemment vous placer au bon étage pour en parler. Un auteur peut évoquer la question de la liberté et des lois (« est-ce que la loi rend les citoyens plus libres ? »), tandis qu’un autre peut évoquer plus simplement la question de notre liberté de nous comporter ou de croire : si la majorité des enfants nés dans une famille athée deviennent athées, ou dans une famille de croyants deviennent croyants, peut-on dire que ces enfants sont libres de choisir leur incroyance ou leur croyance ? Vous devez sentir, évidemment, que la réponse à une telle question doit être nuancée, comme toujours.

            Une autre technique à retenir pour « débloquer » le sens d’un terme est de chercher à le varier, à le graduer. La phrase-clé que vous pouvez vous répéter (ou utiliser sur votre brouillon) c’est la suivante : « Il y a X et X », « Il y a liberté et liberté » :

1) Il y a la liberté en un sens faible ou négatif : c’est-à-dire la liberté comme pouvoir de faire ce que l’on veut, quand on veut, de suivre ses désirs, de répondre à ses instincts, et de n’être entravé par rien (slogan de Macdonald : « Venez comme vous êtes ! »). Mais vous devez sentir immédiatement pourquoi cette forme de liberté est faible ou « négative » : il ne s’agit pas d’une « haute » idée de la liberté. Agir sous le coup de ses pulsions sans jamais les réprimer ne fait pas de vous un être « libre » ou « libéré », mais plutôt l’esclave de vos humeurs. Vous croyez être la « cause » de votre comportement, alors même que vous êtes « causé » par la succession de vos envies. On appellera cette liberté la « licence ».

2) Mais cela veut dire, par conséquent, que la véritable liberté n’est pas du côté du laisser-aller, de la décontraction, du coup de tête, mais bien plutôt – et c’est paradoxal – du côté du contrôle, de l’inhibition, de la mesure. Il est plus facile, pour un individu, de dire « oui » que de dire « non ». Dire « oui » à toutes les fantaisies de ses désirs est une chose à la portée du premier venu, ou presque ; mais savoir se refréner, se poser des limites, s’interdire un désir, c’est peut-être la marque la plus haute d’une personne forte, et libre. C’est pourquoi, si l’on a défini la liberté la plus faible sous le nom de « licence », on parlera pour la liberté la plus haute d’autonomie – et cela au sens étymologique : la faculté de se donner à soi-même (auto) sa règle et sa limite (nomos, c’est-à-dire la loi).


Le problème philosophique de la liberté

            On pourrait résumer le problème de la manière suivante : Pour être vraiment libre, est-ce qu’il faut être totalement libre ?

            Oui je sais, voici encore une phrase de « philosophe » ! Mais elle est très sérieuse, si vous lui accordez un tout petit peu d’attention, et vous verrez qu’elle se pose tous les jours – y compris en ces temps de confinement sanitaire !

            Reprenons plus tranquillement le problème :

- Soit, en effet (1), vous êtes totalement libres, et d’une liberté sans raison, sans justification (licence), mais alors votre liberté est aussi stupide, pulsionnelle, fantaisiste : vous feriez tout et son contraire, comme ça, brusquement !

- Soit, (2), votre liberté est guidée par l’intelligence, elle repose sur des arguments, de la discipline, vous vous donnez de bonnes raisons d’agir (autonomie), et en effet, votre liberté est plus haute, plus noble peut-être, mais est-ce encore tout à fait de la liberté ?

            Prenez le cas suivant : quelqu’un d’innocent se fait violemment agresser devant vous. 

Homer Simpson devant un problème moral : boire ou ne pas boire cette bière ?

Soit vous vous comportez de manière absolument libre, c’est-à-dire de manière indifférente : vous pourriez tout aussi bien aider que ne pas aider. Dans ce cas vous êtes peut-être libre, mais vous êtes aussi très certainement un sale type (ou une vraie c****) ! Tandis qu’à l’inverse, si vous ne restez pas indifférents, si d’emblée votre raison ou votre cœur vous ordonne – à juste titre – d’aider votre prochain, dans ce cas vous n’avez pas tout à fait été libre d’agir : vous avez obéi à une règle (une règle morale). Dans un cas vous êtes libre, sans être intelligent ou moral ; dans un autre, vous êtes moral, mais vous consentez à ne pas être entièrement libre.


Petite excursion sur la question du mal

            Ces questions peuvent vous paraître bien abstraites, mais elles touchent à un problème passionnant : celui du mal.

Voldemort, dans Harry Potter, nous rappelle cette grande loi du cinéma américain : plus tu es méchant, plus tu es laid !

D’où vient le 
mal ? Et plus précisément peut-être : pourquoi ne détestons-nous pas tout à fait le mal ? Pourquoi sommes-nous tentés par le mal ? C’est qu’il y a de la bravoure dans un acte méchant – quelque chose qui ressemble fort à de la liberté. L’acte violent par exemple nous déplaît, mais il peut aussi nous séduire : voyez tous les jeux-vidéo qui, l’air de rien, reposent sur cette ambiguïté. Nous réprouvons ceux qui agissent mal, et en même temps nous trouvons parfois qu’ils font preuve de plus de force de volonté que nous. De même, dire la vérité (être sincère) est certes un acte très raisonnable, mais c’est un acte qui est à la portée de tout le monde ou presque : tandis que mentir ou manipuler est un acte qui demande parfois beaucoup d’intelligence ou d’imagination. Est-ce à dire que l'on ne peut ressentir sa liberté qu'en agissant mal ?


Conclusion : éloge des semaines sans classe !

            Mais je vous laisse trancher – librement ! – cette question du mal, et j’en viens à notre conclusion pour le cours d’aujourd’hui.

            Une autre situation nous permettra d’éclairer le problème : celle de la vie sociale ou politique.

            La balance, là encore, est la même : soit nous vivons sans loi et sans règle, c’est-à-dire sans entrave, parce que nous pensons que la liberté, c’est la liberté de faire ce que l’on veut : mais l’on sait d’emblée que cette liberté totale est le contraire de la liberté : l’anarchie, la guerre de tous contre tous, la domination des plus forts, etc. Tandis que, sur l’autre plateau de la balance, il faut parier sur la liberté qui passe – paradoxalement – par des entraves à la liberté, je veux parler des lois.

            Rappelez-vous ce que je disais plus haut : quelqu’un qui dit « oui » à tous ses désirs ou à tous ses fantasmes croit être libre : en vérité, il est dominé par ses obsessions. Tandis qu’un individu qui est capable de se dire « non » se prouve qu’il est libre. C’est pourquoi les lois, qui limitent notre liberté, nous permettent pourtant d’être plus libres que sans elles.

            Votre première tendance pendant ces semaines sans cours est de ne pas travailler, ce qui se comprend tout à fait : le grand réflexe de l’être humain est de se faciliter les choses. Vous avez envie de dire « oui » à votre compte Instagram, « oui » à votre série préférée, etc. Seulement, gagner en liberté, c’est-à-dire gagner en maturité, c’est savoir se contrôler soi-même : auto-nomie. Savoir se dire « non ». C’est exactement ce que l’on vous demande pendant ces semaines sans classe, sans cours, sans obligation scolaire : soyez autonomes. 

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