Classe S - Cours n°1 (conscience et liberté)
La conscience nous rend-elle libre ?
Quelques
mots pour pleurer Anna Karénine
![]() |
Anna Karénine jouée (assez bien) par Keira Knightley |
Opposons donc à ce
coronavirus le plus éclatant des démentis en continuant de philosopher à peu
près comme si de rien n’était, et poursuivons donc nos réflexions de vendredi
dernier – réflexions qui, je vous le rappelle, s’étaient terminées par la mort
de la pauvre Anna, l’héroïne du grand roman de Tolstoï, Anna Karénine.
Passons
sur les raisons de son suicide : on peut discuter longuement pour savoir
si elles sont vraisemblables ou non. L’intérêt du texte de Tolstoï est de nous
montrer que la vie de notre conscience – tout ce qui se passe en nous, les
pensées qui nous viennent, les émotions qui nous prennent, etc. – n’a jamais
rien de simple. On ne devrait pas dire qu’Anna agit (verbe à la voix active),
mais plutôt qu’elle est agie (verbe à la voix passive), même si la formule peut
paraître bizarre.
Nous
retiendrons donc deux leçons de la lecture de ce texte (et celui des autres qui
accompagnent le polycopié de vendredi) :
1) D’un point de vue très général d’abord, que
lorsqu’on y regarde de plus près, il est constant de remarquer que nous ne
choisissons pas tout à fait nos idées, nous ne décidons pas vraiment de la nature de nos émotions,
nous n’élaborons pas du tout nos rêves, et même, nous sommes parfois en retard
sur nos décisions. Bref, notre liberté est un peu compromise,
2) D’un point de vue plus particulier enfin,
et puisque notre sujet concerne bien la « conscience » (« La conscience
rend-elle l’homme libre ? »), nous comprenons à présent que
« conscience » ne veut pas forcément dire « liberté ». Nous
pouvons avoir conscience de nos décisions et de nos actions, sans avoir choisi
librement de décider ou d’agir. C’est même le cas le plus fréquent. Une idée me
vient soudain ; elle « tombe » en moi ; j’en prends
immédiatement conscience et je dis : « J’ai une idée ! »
Mais cette idée, je ne l’ai pas choisie. De même, regardez Anna Karénine. La
décision de se suicider s’impose brusquement dans sa conscience ; elle
comprend, elle voit qu’il ne lui reste qu’une seule chose à faire : se
jeter sous le train. Elle le fait. A chaque fois, elle est bien consciente de
ce qu’elle va faire : mais peut-on dire pour autant qu’elle a librement
décidé de se suicider ?
Attention,
il ne s’agit pas de conclure que Tolstoï a absolument raison. Nous pourrions
tout à fait répondre qu’Anna aurait très bien pu réprimer la pensée du suicide
et se raviser au dernier instant. Elle n’était pas libre d’avoir cette
pensée : mais elle aurait très bien pu être libre d’y résister. L’intérêt
pour nous n’est pas dans ce débat (passionnant cela dit), mais dans la
complexité que dévoile Tolstoï : grâce à lui, nous pouvons commencer à
douter de notre liberté…
Que
faire une dissertation, c’est comme jouer au basket (ou presque)
![]() |
Michael Jordan, le meilleur joueur de basket de tous les temps (sans discussion possible !) |
Venons-en à présent au sujet du cours, et essayons de rendre cela un peu moins scolaire, pour commencer.
Dans
le sport, quelque chose distingue immédiatement le débutant du professionnel :
le bon usage du corps. Quelqu’un qui commencerait, par exemple, à jouer au
football ne peut pas d’abord imaginer toute la gamme possible des coups de pied
– c’est-à-dire, l’usage très varié, suivant la force, la vitesse, l’angle,
etc., que l’on peut faire d’un pied. De même, avec la main : lorsqu’on
commence à jouer au basket-ball ou au tennis, notre usage de la main est un peu
sommaire, on arrive à faire quelques gestes, très rudimentaires, tandis qu’un
professionnel est capable, en utilisant la paume, les doigts, leur flexion,
etc., de varier infiniment ses gestes.
Or,
ce que l’on vous demande de faire en philosophie, c’est la même chose, mais
avec des mots et des idées. Lorsqu’on lance un mot à quelqu’un, comme un ballon, il peut en
faire un usage pauvre ou un usage riche. Autrement dit, comme avec un ballon
entre vos mains, vous devez chercher à varier infiniment les possibilités
d’usage. Il faut donc sentir – même si c’est difficile – qu’un mot n’a jamais
qu’un seul sens, et même, que la valeur, la beauté d’un mot c’est d’être
justement riche d’une multitude de significations. Ces significations peuvent
être un peu vagues, lacunaires, ce n’est pas grave. Cela suffit à montrer que
vous ne vous contentez pas d’utiliser sommairement votre ballon.
Rappelez-vous
absolument d’une chose : dans une question de cours (par exemple, « En
quelle année a commencé la Révolution française ? »), votre premier
objectif est de clarifier la question, de lui apporter immédiatement une
réponse nette et simple (« 1789 ») ; dans une dissertation, qui
me semble un exercice plus adulte, parce qu’il suppose de savoir que dans la
vie rien n’est simple, dans une dissertation votre premier objectif n’est pas,
étrangement, de dégager de la simplicité, mais de révéler de la complexité. Vous
devez, bien sûr, être clairs : mais vous devez mettre cette clarté au
service d’un grand pressentiment de la complexité du monde et de la vie.
Passons
à la pratique (1/2) : Qu’est-ce que la conscience ?
Les
deux mots, soyons francs, sont des plus difficiles. Ce n’est pas grave :
montrer qu’un mot se définit difficilement, c’est déjà commencer de le définir.
Votre difficulté est déjà parlante sur le mot lui-même.
Commençons
par « conscience ». Laissons-le un peu parler de lui-même. Dans quel
contexte, à l’occasion de quelle phrase trouve-t-on le mot
« conscience » ?
La
technique ici, c’est celle de la variation : il faut essayer de faire
varier le mot, un peu comme un jeu de carte que l’on déploie en l’étalant sur
la table. Il y a plusieurs sens du mot « conscience ». Il y a
« conscience » et « conscience ». Voici les résultats que
l’on retiendra :
1) La conscience de soi : c’est-à-dire,
apparemment, le fait de se reconnaître comme quelqu’un, et même peut-être de se
connaître. Autrement, le pouvoir de se représenter comme une personne,
différente des autres,
2) La conscience morale : c’est-à-dire
le sentiment d’une différence entre le bien et le mal, cette voix ou cet ordre
que l’on entend en nous au moment de bien ou de mal agir,
3) La conscience immédiate ou spontanée :
c’est-à-dire le simple fait de sentir que nous sommes là, que nous sommes
éveillés et actifs (par exemple, « je lis ce cours de philosophie »),
4) La conscience réfléchie, qui serait pour
ainsi dire un degré de conscience supplémentaire, celui qui consiste à se
représenter soi-même en train d’avoir conscience : « J’ai conscience
que je lis ce cours de philosophie ». Rien de compliqué ni d’effrayant
dans cette conscience au second degré : il s’agit simplement de l’aptitude
humaine à redoubler son regard : l’individu qui, penché près de la vitre
du train, s’absorbe dans le paysage qui défile, ne pense qu’au paysage, pas à
lui (conscience « immédiate ») ; tandis que celui qui, absorbé
de même dans le paysage, se met soudain à réaliser qu’il regarde le paysage, à
se voir en train de regarder, celui-là n’est plus tout à fait en train d’admirer
le paysage (conscience "réfléchie"). La conscience a donc cette étrange faculté de se savoir consciente,
et de multiplier ainsi, comme à l’infini, les différents plans de son
attention : je pense, je pense que je pense, je pense que je pense que je
pense, etc.
C’est
ce dernier point qui nous importera le plus. Il faut dire aussi que c’est le
plus troublant.
Passons
à la pratique (2/2) : Qu’est-ce que la liberté ?
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Briser ses propres chaînes ! (Ok,ok, l'image est ridicule...) |
Prenons maintenant le mot de « liberté », et voyons ce que l’on peut en faire, malgré sa grande difficulté.
Ici,
une autre technique peut nous être utile, celle de graduer. Non seulement un
mot peut avoir différents sens (comme pour le mot « conscience »)
mais il peut aussi avoir un sens positif et un sens négatif, un sens désirable
et un sens indésirable. La liberté est de ces mots, et l’on pourra, pour s’aider,
distinguer entre deux formes de liberté, l’une négative, l’autre positive :
1) La liberté comme caprice ou comme
« licence » : c’est-à-dire la liberté comme pouvoir de faire ce
que l’on veut, quand on veut, de suivre ses désirs, de répondre à ses
instincts, et de n’être entravé par rien (slogan de Macdonald : "Venez comme vous êtes !"). Mais vous devez sentir immédiatement
pourquoi cette forme de liberté est faible ou « négative » : il
ne s’agit pas d’une « haute » idée de la liberté. Agir sous le coup
de ses pulsions sans jamais les réprimer ne fait pas de vous un être
« libre » ou « libéré », mais plutôt l’esclave de vos
humeurs. Vous croyez être la « cause » de votre comportement,
alors même que vous êtes « causés » par la succession de vos envies.
2) C’est dire, par conséquent, que la
véritable liberté n’est pas du côté du laisser-aller, de la décontraction, du
coup de tête, mais bien plutôt – et c’est paradoxal – du côté du contrôle, de
l’inhibition, de la mesure. Il est plus facile, pour un individu, de dire « oui »
que de dire « non ». Dire « oui » à toutes les
fantaisies de ses désirs est une chose à la portée du premier venu, ou
presque ; mais savoir se refréner, se poser des limites, s’interdire un
désir, c’est peut-être la marque la plus haute d’une personne forte, et libre. C’est
pourquoi, si l’on a défini la liberté la plus faible sous le nom de
« licence », on parlera pour la liberté la plus haute d’autonomie –
et cela au sens étymologique : la faculté de se donner à soi-même (auto)
sa règle et sa limite (nomos, c’est-à-dire la loi).
En
somme, être libre, ce n’est peut-être pas agir sans raison (licence) mais agir
ou tendre à agir le plus rationnellement (autonomie). Mais sentez bien tout ce
qu’il y a de problématique autour de cette question de la liberté, car ce
problème fait souvent l’objet d’un sujet de dissertation au baccalauréat :
en somme, soit la liberté est totale, sans raison, sans justification (licence),
mais alors elle est aussi stupide, pulsionnelle, fantaisiste (on ferait tout et
son contraire, on agirait n’importe comment, etc.) ; soit la liberté est
guidée par l’intelligence ou la raison, elle repose sur des arguments, de la
discipline, etc., et elle est plus haute, plus belle, plus noble peut-être
(autonomie) – mais est-ce encore tout à fait de la liberté ? S’il est plus
raisonnable ou plus intelligent, certes, d’aider une personne en danger que de
l’abandonner à son sort, suis-je vraiment libre de choisir ? Est-ce que la
raison, ici, ne pèse pas trop sur mon choix, au point de lui imposer telle ou
telle décision ?
Vous comprendrez sans doute mieux ce problème si vous le transposez dans le domaine politique : faut-il, pour être libre, vivre sans lois ou avec des lois ? A priori, la vie la plus libre serait celle d'une société sans lois (licence totale de faire ce que l'on veut), mais l'on comprend tout de suite le risque : anarchie, guerre de tous contre tous, domination des plus forts, etc. D'où le paradoxe : pour être vraiment libre, il faut être un peu moins libre. Les lois, qui limitent notre liberté, nous rendent libres.
Vous comprendrez sans doute mieux ce problème si vous le transposez dans le domaine politique : faut-il, pour être libre, vivre sans lois ou avec des lois ? A priori, la vie la plus libre serait celle d'une société sans lois (licence totale de faire ce que l'on veut), mais l'on comprend tout de suite le risque : anarchie, guerre de tous contre tous, domination des plus forts, etc. D'où le paradoxe : pour être vraiment libre, il faut être un peu moins libre. Les lois, qui limitent notre liberté, nous rendent libres.
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Dark Vador, excellent méchant, malgré son asthme |
Je ne peux pas m’étendre sur ce sujet, mais seulement vous en donner un aperçu, car il touche à une question éternelle des sociétés humaines : d’où vient le mal ? Et plus précisément peut-être : pourquoi ne détestons-nous pas tout à fait le mal ? Pourquoi sommes-nous tentés par le mal ? C’est qu’il y a de la bravoure dans un acte méchant – quelque chose qui ressemble fort à de la liberté. L’acte violent par exemple nous déplaît, mais il peut aussi nous séduire : voyez tous les jeux-vidéo qui, l’air de rien, reposent sur cette ambiguïté. Nous réprouvons ceux qui agissent mal, et en même temps nous trouvons parfois qu’ils font preuve de plus de force de volonté que nous. De même, dire la vérité (être sincère) est certes un acte très raisonnable, mais c’est un acte qui est à la portée de tout le monde ou presque : tandis que mentir ou manipuler est un acte qui demande parfois beaucoup d’intelligence ou d’imagination. Est-ce à dire que l'on ne peut ressentir sa liberté qu'en agissant mal ?
Ce
sont là toutes les ambiguïtés du mot de « liberté ».
Problématique
du cours
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Adam et Eve au paradis |
Venons-en
à présent au problème autour duquel tournera le cours. Il tient en ceci :
Les hommes ont
toujours vu dans la conscience à la fois une sorte de trésor et une espèce de
malédiction. Rappelez-vous de la « Genèse » dans l’Ancien testament : avant de
pécher, ni Adam ni Eve n’ont « conscience » de leur nudité. C’est en
mangeant le fruit défendu que les hommes prennent « conscience »
d’eux – et qu’ils sont chassés, dès lors, du jardin d’Eden. En somme, le
commencement de l’humanité, telle que nous la connaissons, c’est le
commencement de la conscience.
La conscience, en
effet, nous exile du monde naturel : nous avons l’impression que grâce ou
à cause d’elle, nous ne sommes plus tout à fait comme le reste du monde. Et ce
n’est pas tout à fait faux. Non pas parce que nous serions supérieurs aux
autres espèces, ou bien totalement différents d’elles : nous savons
aujourd’hui que des formes de conscience existent bien chez d’autres animaux.
Mais chez nous, cette possibilité de nous retirer des choses ou des instants
atteint quelque chose d’extraordinaire : nous pouvons non seulement nous
détacher des heures, en pensant ce qu’il y avait hier ou ce qu’il y aura demain
(rupture dans le temps), mais nous pouvons également nous détacher de ce qui
est devant nous, en pensant ce qui n’est pas là ou ce qui n’existe pas (rupture
dans l’espace). Cette faculté de faire exister ce qui n’existe pas, c’est
proprement le don de la conscience. Et c’est ce don que beaucoup d’auteurs ont
vu comme le suprême mérite – et en même temps le suprême risque – de l’espèce
humaine.
En ce sens, on
comprend pourquoi l’on serait tenté de faire de la conscience la preuve de
notre liberté. En effet, le monde naturel semble de part en part déterminé
(terme que je vous demande de bien retenir), c’est-à-dire entraîné d’une cause
à une autre dans une longue chaîne d’interdépendances : si le vent
souffle, c’est à cause de la pression atmosphérique, si la terre tourne autour
du soleil, c’est parce que la gravité l’y entraîne, etc. Rien, dans la nature,
ne reste sans raison. Tout trouve une cause qui précède et qui explique. Mais
l’homme ? Si l’homme possède effectivement une faculté qui lui permet de
se retirer des choses, c’est bien qu’il n’est pas une chose comme les autres. L'acte libre, en effet, serait précisément un acte sans explication, sans précédence, sans raison en arrière : un acte parfaitement nouveau, un pur commencement qui ne s'inscrit dans aucune chaîne de causes et d'effets.
On dirait parfois que
plus on avance dans l’évolution naturelle, plus les êtres gagnent en
liberté : un atome n’a pas son mot à dire sur les lois physiques qui le
poussent à s'agglomérer avec d’autres atomes ; une étoile, une galaxie ne
semblent pas non plus faire preuve de beaucoup de caprice. Le monde physique
est un monde déterminé ; rien ne semble libre de changer les règles. Déjà
avec les plantes et les animaux, on commence à pressentir que les comportements
sont un peu moins codés, ou en tout cas plus complexes à saisir. Et l’on serait
dès lors tenté de croire qu’avec l’homme fait enfin irruption, dans l’univers,
le premier être qui ne soit pas entièrement dépendant des lois physiques ou
biologiques : le premier être capable de dire « non » à tout,
« non » à ses envies, « non » à sa condition naturelle. Le
premier être libre, plus libre et donc plus intéressant, plus noble peut-être,
que la moindre galaxie et ses milliards d’étoiles.
Mais est-ce vraiment
le cas ?
Nous avons commencé
de le voir avec Anna Karénine : est-ce qu’il n’y a pas là une illusion ?
Que l’homme soit conscient de ses décisions, c’est une chose : mais est-ce
suffisant pour en faire un être libre ? Encore une fois, l’expérience nous
le montre bien souvent : j’ai conscience de mes rêves, et pourtant je n’y
suis pour rien. J'ai conscience de mes idées, mais en suis-je vraiment l'artisan ?
Grandeur
et misère de l’homme : l’exemple de la « néoténie »
![]() |
Le nouveau-né humain présente quelque chose comme une prématuration |
Toutes ces questions
touchent à une thématique universelle, que l’on retrouve dans beaucoup de
religions et de cultures humaines : cette impression que l’homme est un
être inachevé ou intermédiaire, qu’il est à la fois beaucoup et peu de choses,
doté de dons extraordinaires et en même temps extrêmement démuni (voir par
exemple le célèbre mythe grec de Prométhée, qui vola le feu aux dieux pour le
donner aux hommes, car ces derniers ne disposaient de rien pour survivre). On lit jusque
dans la culture chinoise des équivalents du mot fameux de Pascal,
« l’homme n’est ni ange ni bête », et même la science contemporaine
recherche des explications à ce caractère à la fois inédit et fragile des
hommes, par exemple à travers le concept de « néoténie » (persistance du caractère juvénile dans une espèce).
C'est un point très intéressant et que je vous demande de retenir (nous en reparlerons au chapitre suivant, sur la religion et la politique).
C'est un point très intéressant et que je vous demande de retenir (nous en reparlerons au chapitre suivant, sur la religion et la politique).
Contrairement, en
effet, à la plupart des autres espèces vivantes, le nouveau-né humain a
toujours quelque chose de prématuré : absence de pilosité, nécessité d’un
très long maternage, faiblesse de l’appareil musculaire, très longue
programmation du système neuronal, etc. Un animal, au contraire, est pour ainsi
dire programmé pour être rapidement en « fonction », tout simplement
car il doit survivre très vite. Or cet état de prématuration, voire cet inachèvement qui
semble caractériser l’homme en fait un « spécialiste de la non
spécialisation », comme l’écrivait le célèbre éthologue (spécialiste du
comportement animal) Konrad Lorenz : un être qui n’a pas, contrairement
aux autres animaux, la « spécialité » de voler, ou de nager, ou de se
défendre par des cornes, ou de courir très vite, ou de posséder une carapace,
etc. L’homme est d’abord démuni, et c’est pourquoi il cherche à combler cette
déficience de la nature par autre chose, le rapport à l’autre, l’échange par la
parole, l’entourage social, etc. Autrement dit, à compenser cette faiblesse
naturelle par une force culturelle. Nous n'avons pas des griffes acérées, mais très vite nous avons développé des outils, etc. Nous ne serions pas très bien « programmés » : et ce défaut ferait toute notre qualité. Nous tentons de nous « programmer » nous-mêmes.
Bref, vous voyez que
cette impression qu’il y a à la fois une grandeur et une misère des capacités
humaines court dans l’histoire, de la poésie ou des religions antiques jusqu’à
la science d’aujourd’hui. Et toute notre question, dans ce cours, est de savoir
si l’on peut tout simplement accorder à l’homme le don de surpasser la nature
en lui – la liberté – sous prétexte qu’il possède cette capacité,
extraordinaire en effet, de la conscience.
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